Slim Donj (1e partie) : la philosophie de D&D

Slim Donj (1e partie) : la philosophie de D&D

Tout d’abord, avant de m’attaquer à cet ancêtre (au sens noble du terme, évidemment), je vais essayer de comprendre la vision que j’en ai. Je précise que cette vision est forcément personnelle, même si certains points se veulent objectif.

D&D a un « charme » rétro, voire vintage. Il est l’un des premiers jdr et qu’on le veuille ou non, il a servi de référence pendant longtemps. De nombreux concepts qu’il emploie ont évolué et de nouveaux genres de jdr ont vu le jour depuis. Ca ne veut pas dire pour autant que D&D est forcément obsolète. Du reste, depuis la version D&D3, de gros progrès ont été accomplis pour le rendre, si ce n’est débutant-friendly, en tout cas moins incohérent.

Je remarque souvent, d’ailleurs, que la plupart des critiques qui lui sont adressées, souvent par des gens n’y ayant jamais joué (mais telle est la nature humaine, céder à la facilité, surtout lorsqu’on s’attaque à un courant commercial majeur), sont en fait principalement des critiques de personnes qui n’ont pas compris ces concepts.

Pour prendre un exemple, je ne jouerais pas à Doom si je n’aime pas les FPS. Et si les jeux-qui-font-peur ne sont pas ma tasse de thé, je risque d’être fort déçu. En adaptant ça au jdr maintenant, on ne joue pas à l’Appel de Chtulhu si on attend un Marvel.

Par cette courte introduction, j’espère sincèrement ôter tout sens aux remarques faciles sur la nullité intrinsèque de D&D. Sans en être un grand fan, D&D n’est pas nul, il est juste inadapté pour certains et cela dépend entièrement de ce à quoi ils veulent jouer. Je ne suis pas non plus en train de dire que D&D est le meilleur jdr med-fan sur le marché, il en existe d’autres, potentiellement meilleurs, mais fondamentalement, cela relève d’un autre débat.

Le but de ces articles est donc de « synthétiser » Donjon. J’insiste : synthétiser, pas « résumer ». Un probablement très bon résumé de Donjon D20 est sans doute le dK. Mais cet exercice-là est différent : il s’agit ici de s’intéresser aux concepts de Donjon ; et, en partant de ces idées, d’en créer un jeu, potentiellement totalement différent (qui n’utilisera peut-être même pas le d20 !) de celui qui existe dans sa version gros pavé.

Quels sont donc les concepts fondateurs de D&D ?

Le jeu par équipe

Tout d’abord, il y a la notion de groupe, fondatrice, fondamentale. Et plus précisément, la notion de complémentarité au sein d’un groupe. En schématisant, un groupe de quatre doit être composé d’un guerrier, d’un roublard, d’un prêtre et d’un mage. Quatre personnes forment le groupe ; ni trois, ni cinq. Et toujours idéalement il ne peut y avoir deux guerriers, ou deux mages, laissant absent un de ces archétypes.

On prend par ailleurs volontiers comme exemple de la stupidité du système d’AD&D2 le fait qu’un mage ne puisse grimper à un arbre pour échapper à un loup car il n’a pas la compétence et ne peut pas l’avoir. J’aurais tendance à dire que les personnes qui argumentent sur ce point n’ont pas compris qu’un mage n’est pas censé grimper à un arbre : il a des sorts pour cela et, de toute façon, le loup devrait être bloqué par le guerrier du groupe. Si le guerrier ne combat pas au corps-à-corps avec ce loup afin de défendre le mage, alors le groupe n’a pas correctement agi et c’est lui le fautif, pas le système. Ainsi, à la complémentarité s’ajoute la notion de spécialité. Chacun a un rôle, au sens strict du terme, à jouer, bien spécifique, afin d’éviter de se marcher sur les pieds et de voler la vedette à l’autre.

Cette complémentarité se conjugue, de plus, avec une alliance totale au sein du groupe. Il ne peut y avoir de traître, de coups fourrés ou de simples intrigues internes. Pas de messe basse, d’aparté avec le MJ ou d’agenda personnel. Le groupe est un et uni.

J’aurais personnellement tendance à dire qu’il s’agit d’une vision archaïque du jdr mais j’ai souvent constaté que beaucoup de joueurs sont réfractaires à toute notion de compétition à la table : il ne peut y avoir de gagnants et de perdants d’une part et les joueurs devraient toujours agir de concert. Archaïque n’est donc pas le terme exact puisqu’elle est encore largement partagée.

On touche évidemment au passage du doigt l’une des plus fameuses dichotomies du jdr, à savoir le « jeu » et le « rôle ». C’est un jeu et, en cela, les joueurs sont confrontés à des obstacles, ils sont censés s’entre-aider. Soit. D’un autre côté, les joueurs incarnent des personnages qui peuvent avoir des comportements destructeurs de toute dynamique de groupe ou plus simplement des objectifs individuels contraires à ceux du groupe.

Contrairement à ce qu’on aurait pu penser de prime abord, qu’au sein de D&D tout est axé sur l’évolution et la montée en puissance, et donc que seul le jeu est abordé, l’aspect rôle n’est pas complètement ignoré pour autant : il existe en effet un mécanisme précurseur du roleplay. Mécanisme qui est central à D&D. Il s’agit de la notion d’alignement. Tout simplement. Car un personnage mauvais pourra trahir des joueurs bons (ou mauvais du reste). Et un personnage bon devra agir comme tel, quand bien même cela n’arrange pas son joueur.

L’exploration

Ensuite, Donjons et Dragons est censé gérer, superbe truisme s’il en est, l’exploration de donjons et le combat contre des monstres (pas seulement des dragons quand même), comme son titre l’annonce si bien.

Il faut bien comprendre que D&D a été créé à une époque où les parties de jdr n’en étaient qu’à leurs balbutiements. Hors ces phases (d’exploration et de combat), le reste était une sorte d’habillage qui a pris de plus en plus d’importance, à la demande des joueurs.

Nous ne sommes a priori qu’à une phase de l’évolution du jdr (et personne ne peut prédire avec crédibilité ce qu’il adviendra de ce loisir par la suite) sans que nous soyons supérieurs ou inférieurs, meilleurs ou pires qu’aux prémisses. Personnellement le charme rétro d’une bonne partie de Donj’, si elle est correctement maîtrisée, m’irait tout à fait aujourd’hui encore.

Le système de D&D se centre donc grandement sur ces deux points et, d’ailleurs, la résurgence de l’importance de la gestion de la représentation tactique des combats (j’entends par là l’usage des figurines) en est un symptôme important (ou une conséquence, tout dépend dans quel sens on regarde). Les auteurs de D&D3 ont donc parfaitement assimilé la philosophie du D&D originel, puisque celui-ci était lui-même fondé sur des règles d’un jeu de wargame de figurines.

Mais on commence déjà, en parlant de mécaniques de jeu et en commençant à les orienter vers tel ou tel type de sensations que l’on souhaite procurer aux joueurs, à sortir du cadre des concepts et à s’aventurer au-delà. A bien y regarder, sont finalement hors débat pour l’instant les grands questionnements sur les mécanismes de jeu : le task resolution ou le conflict resolution, le fortune in the middle, etc. Tout ça n’est pas véritablement de notre ressort à ce stade de l’analyse. Il s’agit de mécanismes de jeu (game mechanics) alors que nous parlons simplement des concepts (game concepts), d’autant qu’il est a priori possible, en partant d’un même concept, de choisir tel mécanisme ou son contraire. Ce n’est qu’un choix de game design (oui ça en fait beaucoup, désolé).

Nous allons donc (enfin !) pouvoir aborder le livre de règles en tant que tel.